75 % des journalistes se déclarent de gauche, et 75 % des jeunes pigistes ne travaillent ni à plein temps, ni même à mi-temps. Serait-ce l’idéologie gauchiste qui condamne ces apprentis journalistes à la précarité et au chômage ? Parce que l’expérience montre que Gauchisme et Vérité sont antinomiques. Chez les jeunes diplômés, roulés dans la farine de formations aussi onéreuses qu’inutiles, seuls les pistonnés cyniques ou les bosseurs ambitieux qui ont laissé tomber ce masque idéologique s’en sortent. Les autres souffrent. En croyant souffrir pour la Vérité, contre le Capital, les Riches, les Fascistes. Heureusement, il y a une troisième voie.
Le journalisme est mort…
Sur le site du SNJ, d’obédience communiste, qui représente environ 50 % de la caste journalistique, on ne parle que de chômage, ASSEDIC, piges impayées, couverture sociale, patrons voyous… Vieilles rengaines. L’État, par le biais de ces indemnités et sous forme de subventions aux journaux (sans oublier la niche fiscale et ses 7 650 euros d’abattement), maintient sous respiration artificielle un secteur à la fois sinistré et décrié. Sinistré par l’effondrement des budgets rédactionnels, et décrié par le public qui, grâce au Net, s’est rendu compte qu’on le gavait de propagande (payante !) depuis des décennies. Ça, on ne le lira pas dans les journaux : ce sont les journaux eux-mêmes qui font les papiers sur les journaux ! Pas grand monde non plus pour regretter une corporation soumise à 99 % à la dominance et qui a trahi les gens. Aujourd’hui, par un retour inattendu de balancier moral, cette soumission équivaut à la mort éditoriale.
Sur les 40 000 journalistes plus ou moins déclarés en France, 25 000 sont mensualisés, 8 000 bossent à la pige, 2 000 sont au chômage, auxquels il faut ajouter 4 000 stagiaires. Ce sont des chiffres quasi officiels de 2010. En réalité, vous pouvez multiplier par 2 les stagiaires, rajouter des milliers de pigistes (le SNJ croit qu’ils gagnent 2 000 euros en moyenne, alors que c’est moins de 700 euros par mois) et faire fondre le nombre des mensualisés. Quant aux journalistes réels… Par exemple, un rédacteur de journal interne chez Delanoë à Paris se fait appeler journaliste, ou même un gratte-dépêche du Parisien, sans oublier les tâcherons de 20 Minutes. Il a même existé une journaliste spécialisée des pages « croquettes » de 30 millions d’amis… En CDI !
… vive le web-journalisme !
Alors, pour s’adapter à la double mutation de la technologie (du papier au numérique, et bientôt à la robotique, qui va écrabouiller des milliers de e-jobs répétitifs) et du consommateur (passé du gobeur soumis au zappeur méfiant), l’Université a trouvé une idée formidable : former des web-journalistes. L’expérience est menée par Arnaud Mercier, directeur de licence ; le laboratoire c’est l’université de Metz, et le tout est filmé par Denis Robert, qui en a fait un webdoc de télé-réalité aussi hilarant qu’involontaire. Mais surtout, meurtrier pour ces petits soldats du web-journalisme et leur étonnant uniformisme politique. On rappelle que chaque année 30 000 étudiants tentent de devenir journalistes…
http://journaliste-2-0.france4.fr/
Le doc en quatre parties montre l’évolution d’une classe de 16 apprentis journalistes, qui ont été sélectionnés par un jury universitaire. Visiblement, le niveau et la motivation des candidats posent rapidement problème. Un membre du jury s’énerve :
« J’en ai un peu marre des jeunes mecs qui veulent faire que de la culture, je prends ça pour un alibi… La culture c’est facile, je peux faire de la culture sans avoir envie de travailler ! »
C’est vrai que quand on entend Camille (on n’a pas changé les prénoms), on peut se poser des questions :
« Enfin voilà et j’ai un peu débarqué là-bas en me disant enfin voilà et oh j’vais voir un peu c’que ça va donner enfin voilà… »
Le premier moment fort à déguster, c’est le choix du nom de la promotion. Un choix démocratique, bien entendu : nous vivons l’Histoire naissante du web-journalisme de gauche.
Le choix du nom magnifique de la promotion
Arnaud Mercier, directeur de la licence de web-journalisme :
« Florence Aubenas, Charles Enderlin, Thierry Meyssan ? C’est celui qui nie les attentats du 11 septembre c’est ça ? (La voix devient plus aigue) C’est celui qui dit qu’il y a jamais eu d’avion qui s’est arrêté sur le Pentagone ? (Il baisse la tête, atterré.) Putain. Oui. (Il se passe la main sur la tête) Si vous le choisissez moi je vous dis je démissionne de la direction de la licence hein, c’est pas que je vous fais un chantage mais euh là je peux pas là, là c’est pas possible, alors Anna Politkovskaïa. Alors là pour le coup on peut dire là c’est une journaliste qui a payé de sa vie le fait d’exercer son métier… Je veux dire c’est impliquant, quoi. »
Résultat du vote :
« Vous êtes la promotion Hervé Ghesquière et Taponier et ça vous engage. »
Réaction de Camille :
« Mais c’est quand même une implication vachement importante et tout… Dans tous les cas ça t’implique… Moi je me suis dit putain on a quand même pris un sacré engagement tout ça… C’est lourd à porter enfin. […] Pis le truc c’est que enfin voilà un journaliste que t’aimes bien genre Daniel Mermet enfin voilà, on va pas l’foutre en nom d’promo non plus enfin, ça aurait été bizarre pis comme c’est censé être un hommage enfin chais pas c’est plus, c’est vachement plus compliqué au final. »
Puis Camille tire une taffe. Rappel : elle a déjà deux ans d’expérience dans le montage journalistique.
La visite provocatrice de Claire Chazal
La voix off de Denis Robert annonce un sacré événement :
« Parfois de grands journalistes parisiens débarquent à la faculté de Metz. C’est le cas de Claire Chazal et de Jean-Claude Narcy de TF1. (On voit une des étudiantes qui se moque). À l’université de Lorraine, un petit groupe d’étudiants récalcitrants s’est chargé du comité d’accueil. »
Sur les murs de la faculté fleurissent des insultes anonymes. La professionnelle de TF1 ne se démonte pas et répond non pas aux questions, mais aux insinuations très Canard enchaîné des étudiants, qui n’ont encore rien prouvé :
« Alors on a aperçu quelques inscriptions sur les murs hein, on a bien compris, laquais du grand capital… Bien sûr que Martin Bouygues est un ami de Nicolas Sarkozy mais depuis toujours, bon, ils ont leurs activités, privée, d’amis etc., mais nous n’entendons jamais Martin Bouygues, nous ne lui parlons jamais, et il ne nous donne aucun ordre ni aucun conseil, nous sommes libres. »
Après cela, l’alarme incendie se déclenchera pendant le discours du rédacteur en chef du 20 Heures de TF1… Du grand, du très grand terrorisme. Au lieu de cultiver quelques pistes pour un job futur, les étudiants, mithridatisés par la propagande idéologique officielle, détruisent toute passerelle vers le monde réel du journalisme. Il est vrai dur, de droite, sans pitié. Ils resteront dans le monde fantasmé des justiciers en culotte courte, dans lequel la critique permanente rassure mais n’assure pas la pitance. Des intoxiqués par le gauchisme qui dénoncent l’intoxication du capital, qui lui, ne se cache même pas. Personne n’aura pensé à glisser à Narcy et Chazal un petit billet, un petit papier, modeste et travaillé, sur son envie de sauter dans le navire amiral TF1 et ses 600 journalistes, dont 90 au service reportage, gros consommateur de JRI [1]...
Suicide professionnel précoce
On se demande alors, devant ces images dévastatrices, si Denis Robert mesure l’impact de son montage. Pourtant, le journaliste écrivain est bien conscient de la situation générale. Le 14 juin 2013, il déclarait à L’Huma :
« Tous les modèles économiques de la presse sont en voie d’effondrement. S’il n’y avait pas les aides de l’État, tous les journaux disparaîtraient. Il est donc difficile de pratiquer un journalisme d’investigation ou de faire du journalisme. […] Personne ne croit vraiment à l’émergence d’un journalisme citoyen, bénévole, même si certaines informations viennent de là. […] Les vieux journalistes qui étaient des notables sont partis, et les jeunes qui les ont remplacés deviennent des “media workers”, des petites mains qui travaillent soixante heures par semaine, sous-payées, pour produire une information de qualité médiocre. »
On parie donc sur son intelligence, même si le doc est produit par le très bien-pensant Christophe Nick, avec le soutien de la Région Lorraine, du CNC, de l’université et de la ville de Metz, sans oublier France 4. Le cursus frôlera même le sabordage avec la… grève des étudiants, qui n’arrivent même pas à soutenir le doux rythme des parutions et travaux demandés. Ces jeunes donneurs de leçons à des professionnels aguerris ne sont pas fichus de produire le moindre sujet intéressant. Les profs semblent désolés devant cette indigence, et nous devant le décalage entre l’incroyable vanité des web-journalistes et la faiblesse de leur production. Seul sujet vidéo qui sortira du lot, la couverture par le sage Jean-Baptiste de la « ratonnade des Algériens par l’armée en 61 ici ». Un angle et un traitement auto-flagellants appréciés par les profs, même si on est ici plus près de la ligne communiste que de l’actu brûlante…
Du web-journalisme qui cartonne
Denis Robert :
« Pour moi, il n’y a même plus de débat : le Web est forcément l’avenir du journalisme. On ne peut pas imaginer un journalisme sans Web. Sur ce terrain, il y a une bataille à mener, qui est à la fois une bataille de création, d’imagination et d’indépendance, à la fois éditoriale et économique. C’est d’ailleurs intéressant de voir que malgré toutes ces difficultés, malgré cette profonde transformation le journalisme continue de susciter un enthousiasme étonnant. Je l’ai vu quand j’ai passé une annonce de cinq lignes pour trouver des candidats pour le site d’info que nous lançons, nous avons eu 2 000 réponses en quelques jours ! Malgré tout, des modèles économiques commencent à émerger. »
Après cette petite intrusion dans le laboratoire messin, on se permettra de signaler humblement qu’une autre expérience de web-journalisme indépendant est en cours, en voie de réussite, elle, celle du site Égalité & Réconciliation, qui produit une information véritablement différente et totalement hors circuit. On se demande alors pourquoi les journaux, toujours friands de solutions à « la crise de la presse », ne se précipitent pas pour nous interroger, et faire éventuellement des petits… Un oubli, sans doute, dans l’urgence de l’instant. Quand on pense aux dizaines de millions d’euros dépensés en pure perte pour « relooker » les titres de presse, croyant « coller » au « nouveau » public, alors qu’il suffit de lui dire la vérité.